20 septiembre, 2011

Narcisse

En ces temps-là vivait dans une nature heureuse un jeune homme d'une rare beauté. Né d'une nymphe et d'un fleuve, de Liriopée et du Céphyse, Narcisse ne connaissait pourtant pas l'amour. Nombreux furent les jeunes filles et les jeunes gens qui le désirèrent mais lui, drapé dans une innocente splendeur, les dédaigna. Probablement ne les vit-il même pas ! Un jour qu'il chassait le Cerf, la nymphe Echo l'aperçut. Echo, il faut le reconnaître, était une bavarde impénitente. Pour la punir de cette éloquence déplacée dont elle fut victime, Junon, la compagne de Jupiter, la priva de la parole : "avec cette langue, dit-elle, qui fut pour moi trompeuse, il ne te sera donné d'exercer qu'un faible pouvoir, et tu ne feras plus de la parole qu'un très bref usage". Depuis lors Echo, la nymphe à la voix sonore, ne peut que redoubler les sons et répéter les paroles entendues. Pas facile, dans ces conditions, de déclarer sa passion à ce jeune homme en chasse d'une autre proie ! Mais c'était son jour de chance. Narcisse, s'étant égaré, s'écria "n'y a-t-il pas quelqu'un ici ?". "Si quelqu'un", s'empressa de répondre Echo. De fil en aiguille, de quiproquo en quiproquo, la jeune nymphe finit par s'approcher de Narcisse et s'apprêtait à l'enlacer. Là l'adolescent s'enfuie et, tout en fuyant, "Bas les mains, pas d'étreinte ! Je mourrai, dit-il, avant que tu n'uses de moi à ton gré !" Echo ne répéta seulement que "use de moi à ton gré !". Depuis ce jour la jolie nymphe n'est plus que l'ombre d'elle-même ; seule sa voix résonne encore, parfois, dans les profondes forêts et les gorges des montagnes.

Les dieux promirent de punir Narcisse. Un jour, fatigué de la chasse, il s'approcha d'une source limpide que nulle bête sauvage n'avait jamais touchée. Tandis qu'il apaisait sa soif, une autre soif grandit en lui. Séduit par l'image de la beauté qu'il aperçoit, il s'éprend d'un reflet sans consistance. Le visage fixe, absorbé par ce spectacle, "il semble une statue faite de marbre de Paros". Scotché devant son miroir aquatique, fasciné par son incomparable image, Narcisse dédaigne tout autre chose que l'inaccessible reflet de sa beauté. Ni la faim, ni la chasse, ni Echo ne parviennent à détourner son attention. Beaucoup plus tard il posa sa tête fatiguée sur l'herbe verte et, la nuit venue, ferma ses yeux, empli d'admiration pour la beauté de leur maître. Et, nous raconte la légende, quand il fut reçu dans l'infernal séjour, Narcisse se contemplait encore dans l'eau du Styx ! Lorsque fut dressé son bûcher funéraire les nymphes s'aperçurent que son corps avait disparu. A sa place, une fleur jaune safran dont le cœur est entouré de feuilles blanches, le narcisse.


Narcisse, par Le Caravage



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